La “grande guerre” à la lumière des registres paroissiaux
Le front de la première guerre mondiale ne s’est pas déployé uniquement dans l’est et le nord de l’Europe occidentale. Dans le nord de la péninsule italienne, le Trentin, la Vénétie et le Frioul ont également été le siège de terribles combats opposant les troupes italiennes à celles de l’Empire Austro-hongrois. Ces événements ont d’ailleurs été en partie responsables de la forte émigration des Italiens du nord-est à partir des années 20, car les régions traversées par les lignes de front ont subi des destructions massives.
En France la première guerre mondiale est souvent vue uniquement au travers des combats qui se sont déroulés dans l’est et le nord de l’hexagone. Mais le front s’est déployé sur d’autres pays d’Europe.
Dans le nord de la péninsule italienne, la Vénétie et le Frioul ont ainsi été le siège de terribles combats opposant les troupes italiennes à celles de l’Empire Austro-hongrois. Des villes et des villages situés sur les lignes de front, comme Gorizia, Trieste, Monfalcone ou les zones de l’altiplano d’Asiago ont subi des destructions massives. Ces événements ont d’ailleurs été en grande partie responsables de la forte émigration des Italiens de Vénétie et du Frioul à partir des années 20.
Déplacés et réfugiés
Dès le début du conflit en 1915, les personnes habitant près de la frontière furent éloignés de la zone des opérations et des arrières-pays, comme le long de l’Isonzo, dans le Carso ou dans le Trentin, par les autorités des deux camps. Leurs intentions étaient sans doute autant de protéger les civils que de voir s’éloigner des populations dont les commandements se méfiaient. Les Italiens craignaient le loyalisme des Frioulans envers les Habsbourg, et les Autrichiens le sentiment pro-italien des populations. Les familles étaient parfois envoyées dans des camps, comme les Trentins déplacés en Bohème, Moravie ou Styrie.
Par la suite, au fur et à mesure de l’évolution du front, les civils furent encore contraints à fuir les zones menacées. C’est ainsi qu’en octobre 1917, durant les jours qui suivent la défaite des troupes italiennes à Caporetto, 250.000 habitants des provinces du Frioul et de Vénétie envahies par les Autrichiens partent sur les routes. Dans les semaines suivantes, le nombre des exilés atteint 600.000. Ces réfugiés s’installent dans les villages situés sur la rive droite du Piave et au pied des pré-dolomites, territoire dont les armées italiennes et alliées réussissent à garder le contrôle jusqu’à l’armistice.
La guerre dans la Pedemontana
Les villes de la pedemontana du Monte Grappa ont accueilli certaines de ces familles. La zone a également hébergé des unités militaires qui attendaient d’être déployées sur le front ou qui étaient envoyées à l’arrière après des périodes de combats, ainsi que des hôpitaux de campagne. La guerre a donc été une période de brassage de population dans ces villages et les enregistrements d’état civil s’en sont faits les témoins.
Je l’ai constaté lors du dépouillement des registres paroissiaux de la paroisse de Borso del Grappa. Dans certains actes, le prêtre a par exemple mentionné la situation de réfugié de ses fidèles :
Du fait de la présence dans la paroisse de ces familles réfugiées, des patronymes jusqu’alors inconnus apparaissent dans les registres :
– Martini, de Foza
– Guzzo, de Foza
– Turra, de Gallio
– Contri, de Foza
– Possamai, de Solighetto
– Vitaliano, d’Asiago
– Bortolon, de Feltre
– Degan, de Gallio
– Olivotto
– Marchioni
– Valduga
– …
L’une des caractéristiques de la période 1916-1919 est la fréquence atypique des baptêmes d’enfants nés de père inconnu. Alors que je n’ai relevé que 3 cas pour tout le XIXe siècle et seulement 4 cas entre 1900 et 1915, ils sont 8 entre 1916 et 1919, dont 6 pour la seule année 1918. Les jeunes filles de Borso ne semblaient pas insensibles au charme des nouveau venus. Et pourtant le nombre global de naissances avait chuté dès 1916, du fait du départ des hommes pour le front.
Ces naissances ne sont pas suivies de mariages. D’ailleurs, le nombre des unions chute très nettement en 1915, pour grimper en flèche dès 1919. De nombreux couples ont sans doute attendu la démobilisation pour conclure une union qui aurait été célébrée plus tôt sans la guerre. Cet nouvel élan montre également que beaucoup d’hommes de la paroisse sont fort heureusement revenus vivants.
Borso accueillait un hôpital de campagne et les soldats qui y mourraient étaient enterrés et enregistrés dans la paroisse. Après la guerre, leurs dépouilles ont pour la plupart été transportées dans l’ossuaire du Monte Grappa.
Si le nombre des inhumations enregistrées à Borso entre 1915 et 1918 est logiquement impacté par l’afflux de la population réfugiée, c’est surtout la part des décès des militaires combattant non loin de là qui provoque son explosion.
Ces soldats décédés à Borso durant la guerre n’en étaient pas originaires. Dans le registre des décès de sa paroisse, le prêtre de Borso, Sebastiano Favero, a consacré des pages spéciales à ses paroissiens tombés au combat et enterrés hors de la commune, ainsi qu’à ceux qui ont été “dispersés” et dont le corps n’a pas pu être inhumé. Ces hommes seront le sujet d’un prochain article.
10 commenti
Brigitte
Excellent article, très interessant.
J’ai moi aussi sur mon canton du Poitou noté l’explosion des mariages en 1919.
et même dans le Poitou, il y a eu une famille de réfugiés venant de Belgique, dont une partie est restée après la guerre
Elise
Bravo pour cette analyse très intéressante, et aussi pour le nouveau design du site 🙂
A bientôt,
Elise
Mélanie
Encore 3 ans (2017/1917) et mon ancêtre Jean François Borrat-Michaud (@jfbm1418) sera/a été en Italie… mais je ne crois pas qu’il y ai laissé un héritier caché ! Enfin, pas à ma connaissance ! Si tu trouves un petit Giovanni Francesco, préviens-moi…
venarbol
Sans faute !
Albertini
Je me suis bien informé sur cette période à travers différents sites faisant état des combats, mais votre article m’a particuliérement intéressé puisque j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de me rendre en vacances à quelques kilomètresdes d’Asiago dans un village situé au pied du piémont de l’Altipiano et visité des lieux où eurent lieu des combats intenses sur le Monte Cenghio et Bassano del Grappa . Et aujourd’hui je me suis lancé à la recherche d’informations pour retrouver le parcours de mon père ( né en 1895 ) engagé dans les troupes d’assaut ” Arditi ” entre 1916 et 1918.
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