X comme mère inconnue… mais père déclarant
Les enfants nés de mère inconnue et abandonnés à la naissance ne sont malheureusement pas rares dans les registres de baptême. Mais en cherchant parmi les registres d’état civil de Càorle ou Eraclea, dans la province de Venise, j’ai trouvé plusieurs cas originaux d’enfants nés de mère inconnue (ou plus précisément non identifiée nommément sur l’acte) mais reconnus et déclarés par leur père.L’acte ci-dessus nous informe que, le 9 septembre 1895, Massimiliano Vedovotto s’est présenté à l’état-civil de la commune de Càorle pour déclarer la naissance d’un enfant né de son union naturelle avec une femme non mariée, avec laquelle il n’a aucun lien de parenté ni d’affinité d’un degré qui ferait obstacle à sa reconnaissance (dalla sua unione naturale con donna non maritata non parente ne affine con lui nei gradi che ostano al riconoscimento).
En marge de l’acte de naissance de cet enfant, une fille prénommée Olga Maria, l’officier d’état civil a inscrit que la naissance illégitime avait été légitimée par le mariage de Massimiliano avec Teresa Gobbato, le 24 novembre 1895.
J’ai cru au départ à un cas isolé, puis j’en ai trouvé d’autres :
- Sante Vedovotto, fils de Giovanni Battista Vedovotto, est né de mère non déclarée le 16 décembre 1892 à Càorle. Il n’a pas été légitimé lors du mariage de son père, le 16 juin 1895 à Càorle, mais il est bien possible que la femme de Giovanni Battista, Santa Gobbato, soit sa mère.
- Cirillo Vedovotto, fils d’Epido Vedovotto, est né de mère non déclarée le 23 janvier 1900 à Càorle. Il n’est légitimé par sa mère Luigia Novello que lors du mariage de cette dernière avec son père, le 5 novembre 1905.
- Olga Vedovotto, fille de Romeo Vedovotto (frère d’Epido), est née de mère non déclarée le 27 août 1900 à Càorle. Elle n’est légitimée par sa mère Antonia Gallo que lors du mariage de cette dernière avec son père, le 28 mars 1901.
- Ergenite Vedovotto, fille d‘Emilio Vedovotto, est née de mère non déclarée le 17 mars 1921 à Càorle. Elle n’a pas été légitimée lors du mariage de son père, le 30 novembre 1923 à Càorle, mais il est bien possible que la femme d’Emilio, Pasqua Soncin, soit sa mère.
- Giovanni Vedovotto, fils de Sante Vedovotto, est né de mère non déclarée le 28 février 1922 à Càorle (San Gaetano). Il n’est légitimé par sa mère Estra Busicchio que lors du mariage de cette dernière avec son père, le 1er mai 1922.
- Carolina Carrer, fille d’Anacleto Carrer, est née de mère non déclarée le 1er octobre 1922 à Càorle. Elle n’est légitimée par sa mère Olga Vedovotto que lors du mariage de cette dernière avec son père, le 6 novembre 1922.
- Silvia Maria, Antonio et Iolanda Vedovotto, tous trois enfants de Federico Vedovotto, sont nés de mère non déclarée en 1920, 1921 et 1923 à Eraclea. Ils ne sont légitimés par leur mère Angela Zanutto que lors du mariage de cette dernière avec leur père, le 3 décembre 1926. S’ils n’étaient morts le jour de leur naissance, il en aurait sans doute été de même pour les jumeaux, Maria et Giovanni, nés en 1925.
La vie maritale avant le mariage semblait monnaie courante à cette époque et dans cette zone de Càorle et Eraclea. Je n’ai par contre relevé aucun cas du genre à Borso del Grappa, où l’emprise de la morale catholique était apparemment restée beaucoup plus forte. Ce “relâchement” des contraintes sociales est peut-être imputable en partie au fait que ces personnes vivaient dans des zones qui n’ont été que tardivement habitées, car marécageuses. Ces terrains appartenaient à de grands propriétaires qui y logeaient des métayers pour garder les troupeaux en hivernage. Les familles n’étaient installées là au départ que temporairement et se trouvaient sans doute quelque peu déracinées. L’analyse des registres montre d’ailleurs qu’aucun patronyme n’est typique de cette zone. Les patronymes qui s’y rencontrent sont originaires d’autres zones de la Vénétie, et tout particulièrement de la pedemontana du Monte Grappa.
Edit : Il est fort possible que les couples cités ici aient été mariés religieusement avant la naissance de leur enfants. En effet, Jusqu’en 1929 (accords du Latran) le mariage religieux n’était pas reconnu par l’état italien. Dans ce cas, les enfants étaient déclarés à l’état civil par leur père comme nés d’une femme “non nommée avec laquelle il n’a ni consanguinité ni affinité”. Le mariage civil qui intervenait plus tard servait à légitimer les enfants devant l’état civil comme ceux du père ET de la mère. La seule autre possibilité qu’avait la mère de se voir reconnue sa maternité par l’État était d’obtenir un jugement du Tribunal.
2 Comments
Monique F.
Bravo ! Il semble désormais acquis que les patronymes de la Pedemontana del Grappa se soient répandus dans cette zone côtière de la Vénétie par par la pratique de l’hivernage : familles de fermiers, bergers et animaux, mais pas de pasteur pour veiller à la morale et la bienséance de l’époque. On régularisait après la naissance mais pas toujours. Des précurseurs, en quelque sorte, si on se rapporte à ce qui se passe aujourd’hui!
A quand remontent les premières mentions des patronymes “pedemontans/piémontais?” que tu as pu trouver ?
Kalypso
Ca n’est pas propre à la Vénétie. J’ai un paquet d’actes en Emilia Romagna avec la même mention de mère non nommée. Les enfants étaient légitimés ensuite par le mariage et s’il n’y avait pas mariage, et bien l’acte de décès mentionne “madre ignorata”. Mon AGM s’est mariée (enfin)(province de Ravenna) enceinte jusqu’au menton du cinquième.
Apparemment les pères reconnaissaient toujours leur progéniture. Je cherche effectivement la raison. Est-ce dû à la pression de l’Eglise qui voulait éviter le statut de mère célibataire, la protection de l’enfant, qui du fait, avait un nom (peut-être était-ce déshonneur de ne pas porter le nom du père) et assurait sa subsistance. Et en cas de mariage par la suite (ce qui semblait malgré tout fréquent), il n’y avait pas de changement de nom de famille. Vous avez raison,, il semble bien que nos ancêtres italiens pratiquaient l’union libre avant l’heure, même si celà est surprenant dans un pays aussi catholique que l’était l’Italie du 19ème.