U comme Urgence du baptême
«Les enfants qui meurent sans recevoir le baptême ne peuvent aller au ciel. N’ayant pas commis de péchés personnels, ils ne sont pas soumis aux peines sensibles, ils ne brûlent pas dans le purgatoire ou dans l’enfer; mais ils vont dans les limbes. La perspective n’en est pas moins douloureuse et tragique; ils y subissent, en effet, la peine essentielle des damnés, qui est l’éternelle privation de la vue de Dieu.»*
Ces quelques phrases suffisent à expliquer l’urgence pour les catholiques à administrer le baptême à un enfant venant de naître, afin de le préserver de l’errance infinie dans les limbes qu’il subirait s’il venait à mourir avant d’avoir été baptisé. Jusqu’au XXe siècle, la crainte des parents face à ce danger était d’autant plus grande que la survie des nouveau-nés dans les heures et les jours qui suivaient la naissance était très hypothétique.
Les sages-femmes apprenaient donc à baptiser selon les règles de l’église, car dans le cas où l’issue de l’accouchement semblait aléatoire, il leur fallait absolument agir pour sauver l’enfant des limbes. Elles pratiquaient généralement un ondoiement, cérémonie permettant de laver la petite âme du péché originel, sans accomplir toutes les étapes du baptême. Si le nouveau-né survivait, il était ensuite baptisé par le curé qui suppléait à ce qui avait été omis lors de l’ondoiement : l’enfant était nommé, il recevait l’onction du Saint Chrême, le sel, le cierge symbole de la lumière et ses parrain et marraine prononçaient la profession de foi pour lui. C’est ce qui s’est produit pour Antonio Salvalaggio, le 22 avril 1703 (acte ci-dessus).
Si le moindre doute subsistait quant à la validité de la cérémonie pratiquée par la sage-femme, le baptême était répété par le prêtre, afin de ne prendre aucun risque !
“zuanne … fu battezato in casa dal ostetrice per il pericolo di morte, ma per esserli nato dubio se fosse ben battezato fu portato alla chiesa e sub conditione fu battezato da me Don Domenico dal Prà...” : la sage-femme a baptisé l’enfant car elle l’avait jugé en danger de mort, puis elle a eu des doutes quant à la régularité de son acte et l’a amené à l’église où il a été baptisé sub conditione par le prêtre.
Lors du baptême, l’eau bénite devait impérativement atteindre la peau de l’enfant. Dans les cas les plus critiques, l’enfant était baptisé dans le sein de sa mère, en traversant les membranes avec un petit siphon rempli d’eau bénite ou, quand le terme était proche ou que la mort de l’enfant semblait certaine et imminente, en les déchirant. Tout fœtus ainsi baptisé devait être rebaptisé sub conditione (sous condition) par le prêtre dans les délais les plus brefs.
La naissance le 25 mars 1744 de Domenico et Gio:Maria, les deux jumeaux de Batta de Sandro et Anzola Celotto fut de toute évidence très difficile (acte ci-dessus). Ils ont été baptisés par le prêtre sub conditione, après avoir reçu un ondoiement de la sage-femme sur un pied (in un piede) pour le premier, et sur un bras (in un braccio) pour le second. Ne se sont-ils pas présentés par la tête ? Ils sont décédés tous deux deux jours plus tard, ce qui était très fréquent à cette époque en cas de naissance multiple, et montre que le baptême devait effectivement être administré sans attendre.
Un dernier cas m’intrigue. Tout comme pour le premier exemple cité dans cet article, il s’agit d’un ondoiement prodigué par la sage-femme pour cause de danger de mort, suivi par une cérémonie à l’église célébrée par le prêtre. Mais alors que l’époque et le prêtre sont les mêmes, Don Guglielmo Navarini n’a pas utilisé la même formule dans les deux cas. Si pour Antonio Salvalaggio il écrit avoir procédé à la cérémonie du catéchisme (…supplite le ceremonie del catechismo da me…), pour Gio:Batta Cato, il mentionne une cérémonie d’exorcisme (…supplite le ceremonie dell’essorcismo da me…). Le rite de l’exorcisme simple était bien prévu par le Rituel romain dans la liturgie du baptême, il ne correspond pas au grand exorcisme pratiqué sur les personnes soupçonnées d’être habitées par le démon. La présence de cette formule dans un acte de baptême n’est donc pas exceptionnelle, mais pourquoi le prêtre a-t-il fait une distinction entre les deux baptêmes cités ? Simple figure de style ou réelle différence de circonstances ?
* SAINTYVES (Pierre), En marge de la Légende Dorée, 1931. Réédition Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1987.
2 Comments
Monique F.
Bravo pour cet article,fort bien traité. Ma curiosité bien connue induit les questions suivantes : As-tu trouvé la mention de chapelles “à répit” comme nous en avons en Savoie, où le bébé était dit ressuscité,le temps de recevoir le baptême, évitant ainsi l’errance éternelle dans les limbes. Souvent ces chapelles étaient dédiées à des Vierges Noires.
Est-ce que les cérémonies complémentaires faites par le prêtre l’étaient toujours faites à l’église paroissiale ?
venarbol
Merci !
Je n’ai pas trouvé de chapelles “à répit” dans les actes de baptême que j’ai dépouillés jusque là, mais j’ai vu des mentions de “madonna negra” à propos de Borso me semble-t-il.
Il me semble avoir toujours lu que le prêtre avait officié “in chiesa”.