Remariage ou second mariage ?
Dans cet article, librement inspiré du #Généathème de mai consacré aux remariages, je vais aborder un cas fréquemment rencontré par ceux qui recherchent leurs ancêtres italiens à la fin du XIXe s et au début du XXe s., mais qui est toujours intrigant lorsqu’on le découvre. Au premier regard, on pourrait penser qu’un vent de libération des mœurs a alors soufflé sur le tout jeune état italien, provoquant la naissance de nombreux enfants illégitimes. Mais la réalité est la plupart du temps plus prosaïque…
D’intrigantes déclarations de naissance
Les tous jeunes registres d’état civil du Royaume d’Italie, dont la tenue a débuté entre 1861 et 1871 selon les régions, renferment souvent des actes de naissances à la formulation déroutante pour un généalogiste non averti. Dans ces cas étranges, la naissance est déclarée par le père et l’officier de l’état civil lui fait préciser que l’enfant est né :
… della sua unione con donna non maritata, ne parente ne affine con lui in gradi che ostano al riconoscimento
autrement dit :
… de son union avec une femme non mariée, qui n’a avec lui aucun lien de parenté ni d’affinité qui s’opposeraient à la reconnaissance
Et là les généalogistes commencent à fantasmer : Vergogna! Une union illégitime dans ma famille. Comment les proches l’ont-ils pris ? Pourquoi l’enfant est-il reconnu par son père et pas par sa mère ? Par qui a-t-il été élevé ?…
Il existe bien sûr des cas d’enfants illégitimes en Italie à cette époque, mais en général il sont déclarés de père inconnu, et pas de mère non nommée !
Dans cet exemple, la formulation particulière de la déclaration de naissance nous indique donc qu’en date du 27 juillet 1890 les parents ne sont pas mariés. La mention apposée en marge nous apprend en outre que Luigia Maria a été légitimée au moment du mariage de Luigi CITTON, fils de Marco, avec Giovanna BERGAMO fille de Domenico, célébré le 30 décembre 1890 à Mussolente. Cette mention nous fournit donc le nom de la mère de l’enfant.
Il n’y aurait là a priori aucun mystère… pourtant si l’on a accès aux registres paroissiaux de la même période, on constate que les baptêmes d’enfant illégitimes ne sont pas aussi nombreux que ces naissance d’enfants de mère non nommée.
Mariés ou non ?
Si je me suis intéressée à Giovanna BERGAMO, fille de Domenico, c’est parce qu’elle est née dans la paroisse de Borso. Et fort logiquement c’est dans l’église san Zenone de Borso qu’elle a épousé Luigi CITTON. L’acte de mariage religieux nous réserve une surprise : l’union a été célébrée le 15 mars 1890.
Le couple a donc bien été uni avant le 27 juillet 1890, date de la naissance de son premier enfant. Certes c’est seulement 5 mois avant cette naissance, ce qui justifie peut-être la dispense des publications, mais pourquoi sur l’acte de naissance l’officier de l’état civil a-t-il écrit que la mère (non nommée) n’était pas mariée ?
Pour tenter d’y voir plus clair, penchons-nous sur cet acte de mariage enregistré par l’état civil de Mussolente le 30 décembre 1890 :
Cet acte de mariage, nous indique qu’en date du 30 décembre 1890 Luigi CITTON est celibe (célibataire, pour un homme) et que Giovanna BERGAMO est nubile (célibataire, pour une femme). Ils ont pourtant bien été unis par le prêtre de Borso le 15 mars précédent ! Même si tout est écrit en italien, il y aurait de quoi en perdre son latin.
Second mariage dû à un imbroglio d’État
La situation ubuesque mise en évidence avec cet exemple n’est pas exceptionnelle, elle peut être constatée à de nombreuses reprises dans la période qui suit la création de l’État Italien et la mise en place de l’état civil dit “italien”, soit post-unitaire.
Elle est due au fait que les autorités civiles de l’Italie ne reconnaissent pas comme valide un mariage célébré uniquement à l’église. Les enfants nés de ces mariages uniquement religieux sont ainsi déclarés par leur père, mais de mère “non mariée, …”.
Je ne sais si les couples étaient conscients du fait que leur mariage religieux n’était pas reconnu par l’État, ou s’ils le découvraient au moment d’aller à la mairie déclarer la naissance de leur premier enfant. Il est possible que nombre d’entre-eux se mariaient devant Dieu à l’église, comme l’avaient fait tous leurs ancêtres avant eux, sans se poser la question de la validité de ce mariage pour la loi des hommes.
Bien souvent, comme dans le cas du couple pris en exemple, les époux se mariaient à la mairie après une naissance, légitimant un ou plusieurs enfants nés avant ce mariage civil. J’ai même vu des actes de mariage civils enregistrés plusieurs années après le mariage religieux, accompagnés de la légitimation de cinq ou six enfants. Dans ce cas il n’est plus permis de penser que les parents n’étaient pas au courant.
J’ai donc un peu détourné le #Généathème de mai, puisque je ne parle pas de remariage mais plutôt d’un second mariage du même couple !
Le dénouement des accords du Latran
Cet imbroglio n’est que l’une des conséquences de la situation tendue qui règne entre autorités ecclésiastiques et civiles en Italie depuis la fin de l’unité italienne, en 1870. Victor-Emmanuel II a en effet démantelé les États Pontificaux pour faire de Rome la capitale de son royaume.
En février 1929, des accords sont enfin signés entre le Saint-Siège du pape Pie XI, et l’Italie, représentée par son premier Ministre, Benito Mussolini.
Ces accords dits accords du Latran (car signés au palais du Latran), comprennent trois conventions :
- un traité politique qui règle la «question romaine» en créant l’État du Vatican
- une convention financière (quatre milliards de lires) qui dédommage le Saint-Siège
- un concordat qui statue sur la position de l’Église en Italie (le catholicisme devient la religion officielle de l’État italien).
Les accords du Latran introduisent entre autres le principe du Matrimonio Concordatario (mariage concordataire), qui est un mariage religieux dont l’État reconnaît les effets civils, à condition que l’acte de mariage soit transcrit dans les registres de l’État Civil.
Dès lors, la situation ubuesque qui amenait des couples à se marier une seconde fois, parfois des années après leur mariage religieux, devient caduque.
En savoir plus
Les accords du Latran : Wikipédia
11 Comments
Briqueloup
J’apprécie ce genre de billet qui dérange les idées préconçues. Il ne faut pas se permettre des interprétations trop hâtives en généalogie.
EBRO Jean-Carles (Giancarlo)
Félicitations pour la clarté des explications et la mise au point sur ces “remariages”.
de vito
Bonjour,
Je recherche mes racines àResina puis à ercolano, c’est à dire au moins les noms de mes grands parents, mon grand père s’était marié à resina et bouche à oreilles disent sa jerune épouse est dcd quelques mois plus tard, mais quand?, il s’est re-marié en algérie avec une sicilienne au nom de Manfré, mais j’aimerai en savoir un peu plus.
Si les archives peuvent me le dire? un grand bravoet surtout une grand Merci
venarbol
Des registres d’état civil d’Ercolano sont en ligne sur FamilySearch et Antenati