H comme hips !
Avec un vignoble qui s’étend sur plus de 80 mille hectares, plus de 8 millions d’hectolitres de vin produits chaque année, dont plus de 2 millions sous des appellations d’origine contrôlée et protégée (DOC et DOCG), la Vénétie figure au rang des grandes régions vinicoles d’Europe. Les travaux archéologiques montrent que la production de vins est une tradition ancienne en Vénétie. Des traces de culture de la vigne datant de l’âge du Bronze ont été relevées dans des grottes de Cavaion Veronese, Lazise et Bardolino. Durant l’antiquité, des auteurs comme Celso ou Virgile ont fait état du vino retico, soit le vin produit en Retia, région de collines située au centre de la plaine de Padanie. On cultivait la vigne à Venise même, comme en témoigne par exemple le testament de Marco Ziani, fils du doge Pietro, qui à sa mort en 1253 laissa le vignoble de sa noble famille, le plus étendu de Venise, aux frères de l’ordre des Franciscains. Sur ce terrain fut ensuite construit une nouvelle église plus grande : San Francesco della Vigna (saint François de la vigne).
Le commerce du vin était considéré comme un sujet très sérieux par les autorités de la Sérénissime, et le Grand Conseil institua dès 1268 un collège d’officiers à la taxe du vin (Ufficiali al dazio del vin), chargé de percevoir les taxes sur l’importation et l’exportation des vins et sur la vente de ce breuvage dans les boutiques de la cité des Doges.
Et comme le dit ce proverbe vénitien :
Chi ben beve ben dorme, chi ben dorme mal no pensa, chi mal no pensa mal no fa, chi mal no fa in Paradiso va.
Ora ben bevè che el Paradiso avarè!
(celui qui boit bien dort bien, celui qui dort bien ne pense pas à mal, celui qui ne pense pas à mal ne fait pas le mal, celui qui ne fait pas le mal va au paradis. Alors buvez bien, vous irez au paradis !)
Même si la viticulture de Vénétie souffrit énormément du gel de 1709, elle réussit par la suite à remonter la pente. L’inventaire des vins de Vénétie ne compte aujourd’hui pas moins de 15 appellations d’origine contrôlée et garantie (DOCG) et 26 appellations d’origine contrôlée (DOC). Voici quelques-uns de ces trésors.
Amarone
Ce vin est un peu un “seigneur” parmi les productions vinicoles de la zone de la Valpolicella. Il est produit dans la province de Verona, sur des terres qui s’étirent du lac de Garde jusqu’aux confins avec la province de Vicenza, et tire son nom de sa légère amertume (amaro = amer). Il est fait à partir des cépages Corvina (de 40 à 70%), Rondinella (de 20 à 40%) et Molinara (de 5 à 25%).
La production de ce vin inclut une phase de séchage des raisins de quelques mois sur des claies placées dans des locaux aérés, jusqu’à ce que l’eau s’en évapore et qu’ils atteignent la juste concentration en sucres. Le pressurage n’intervient qu’ensuite, suivi de la phase d’affinage en cuves de chêne puis de la mise en bouteilles. Le procédé se rapproche de celui de la production d’un vin de paille classique (recioto), à la différence qu’ici la fermentation alcoolique se poursuit après le pressurage.
L’Amarone est un vin rouge puissant, dont le degré d’alcool est compris entre 14° et 17°.
Bardolino
Le Bardolino est produit dans la province de Vérone, sur des territoires voisins du lac de Garde. L’appellation Bardolino superiore classico est pour sa part issue d’une zone plus restreinte. Le nom Bardolino dériverait de celui de Bardali, fille du roi Axuleto et petite-fille de Manto, la fondatrice de Mantoue. Durant le Moyen-Age, la production de ce vin était la prérogative des moines du monastère de San Colombano, à Bardolino. Le vin tire son nom de celui de cette ville.
Jusqu’au XIXe siècle, la production de ce vin comportait une étape de fermentation du moût dans une anfractuosité imperméable recouverte de dalles de pierre. Aujourd’hui, ce vin rouge est réalisé avec des cépages proches de ceux utilisés pour l’Amarone : Corvina (35 à 80%), Corvinone (jusqu’à 20%), Rondinella (10 à 40%), Molinara (jusqu’à 15%).
Prosecco
En Vénétie, la zone de production du Prosecco s’étire sur les provinces de Belluno, Padova, Treviso, Venezia et Vicenza. Il en est également produit dans le Frioul-Vénétie julienne. Il tire d’ailleurs son nom de celui de la ville de Prosecco, aujourd’hui banlieue de Trieste. Il se dit que c’était le vin préféré de Livie, mère de l’empereur Tibère, qui lui prêtait des vertus prolongeant la longévité. Mis il ne s’agissait certainement pas de la version effervescente, car le premier Prosecco spumante a été obtenu en 1868.
Ce vin blanc est issu principalement du cépage Glera, mais il est possible d’y adjoindre au maximum 15% de Verdiso, Bianchetta trevigiana, Perera, Glera lunga, Chardonnay, Pinot bianco, Pinot grigio et Pinot noir vinifié en blanc. Le Prosecco est produit sous trois formes : tranquillo (sans bulles), spumante (pétillant) et frizzante (perlant). Le Prosecco spumante est commercialisé en brut, extra dry, dry et demisec. Il est obtenu par fermentation naturelle en autoclave, selon la méthode Charmat, alors que le frizzante peut être fermenté en bouteille.
Si la France reste fidèle au Champagne, les bulles du Prosecco l’ont supplanté dans bon nombre de pays, en particularité outre-Atlantique. Il est également l’ingrédient de base du désormais mondialement célèbre Spritz, qui a favorisé une explosion des exportations à partir des années 2000.
Soave
Le vignoble de Soave est l’un des plus grands d’Europe, avec ses 6.600 hectares situés dans l’est de la province de Verona, autour de la ville de Soave. Le vin de Soave est le premier d’Italie à avoir obtenu une appellation d’origine contrôlée, en 1936. Le toponyme Soave dériverait de Suaves, autrement-dit les Souabes qui peuplèrent l’Italie aux côtés du roi longobard Alboino. Mais il se dit parfois que le lieu (et le vin) devraient leur nom à Dante Alighieri, qui aurait voulu ainsi célébrer la beauté du lieu et la bonté de son vin “suave”.
La production de vin de qualité dans cette région était déjà citée durant l’Antiquité dans les écrits de Cassiodore. La zone de Soave est une importante zone viticole dès la Renaissance.
Le Soave est réalisé avec au moins 70% de cépage Garganega, auquel est ajouté au maximum 30% de Trebbiano di Soave, de Chardonnay et de Pinot blanc. Ce vin blanc sec à la couleur paille est vinifié en mode classique ou spumante.
Valpolicella
Le Valpolicella est peut-être le vin rouge italien le plus connu en France (avec le Chianti). Il est produit dans le nord de la province de Verona, sur un territoire de 250 km2 composé de trois vallées, qui comprend une partie de la commune de Verona, les rives du fleuve Adige, l’arrière-pays du lac de Garde et une partie des monts Lessini.
Ce vin qu’Hemingway avait défini comme “un vin sec, rouge et cordial comme la maison d’un frère avec lequel règne l’accord parfait” est obtenu à partir de cépages Rondinella (20 à 40%), Molinara (5 à 25%) et Corvina veronese (40 à 70%), auxquels peuvent être ajoutés du Negrara ou du Barbera (5 à 15%).
Selon certaines sources, son nom viendrait du latin vallis polis cellae, qui signifie “vallée aux nombreuses caves”, ce qui attesterait de l’ancienneté de la culture des vignes sur ce territoire.
De l’ombra au spritz
Traditionnellement, on buvait l’ombra dans les tavernes de Vénétie. L’ombra est un verre de vin d’une contenance d’un huitième de litre. Le terme est né à Venise, puis il s’est répandu dans toute la Vénétie. Ombra signifie ombre. Parmi les possibles origines du terme, celle qui est retenue comme la plus plausible fait référence aux verres de vin qui étaient bus du temps de la Sérénissime sur la place Saint Marc, à l’ombre de toiles déployées sous le campanile.
Mais aujourd’hui, aux terrasses des cafés de Venise, l’ombra a été supplantée par le désormais mondialement célèbre spritz,
Le spritz est né au XIXe siècle, à l’époque de la domination autrichienne sur la Vénétie et, comme souvent, deux cités s’en disputent la paternité : Venise et Padoue.
Les soldats autrichiens cantonnés en Vénétie trouvant que le vin de l’ombra était trop fort pour leurs gosiers habitués à la bière, ils demandèrent aux cafetiers de le couper avec de l’eau de Seltz. De là vient le nom de cette boisson, spritzen signifiant injecter en allemand. Au début du XXe siècle, certains ont eu l’idée d’ajouter un trait de liqueur au vin blanc et à l’eau pétillante. Les variantes différaient selon la zone : à Vicence, on utilisait essentiellement l’Aperol ou le Campari, dans la région de Padoue c’était plutôt du Cynar ou du Ramazzotti.
Le spritz est resté confiné aux frontières de la Vénétie jusqu’au début des années 2000, lorsque la société Campari a racheté la marque Aperol et a décidé de la relancer. Grâce à une vaste et efficace campagne de marketing, le spritz aperol, réalisé exclusivement avec du Prosecco spumante, est désormais connu dans le monde entier.
L’IBA (International Bartenders Association) a même codifié la composition du Spritz Veneziano : 6 cl de Prosecco, 4 cl d’Aperol, 1 trait d’eau gazeuse.
Mais des variantes existent, en remplaçant l’Aperol par du Campari, du Select, du Biancosarti, du Ramazzotti… Et avec l’option “liqueur de fleurs de sureau” on n’obtient plus un Spritz mais un cocktail Hugo.
Salute!
5 Comments
Sophie
J’adore le proverbe qui est bien représentatif de la région en ce qui concerne le fait de boire un petit coup! 😉
venarbol
“On ira tous au paradis” 😉