Maria Mogno, levatrice
Maria Mogno (ou Mugno) (1749-1831), était l’épouse de Giovanni Vedovotto et mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère. En dépouillant les registres de baptême de Borso, j’y ai vu son nom cité à plusieurs reprises en tant que levatrice ou ostetrice, c’est-à-dire sage-femme. Elle sera donc le sujet d’un article du #généathème de mars, consacré aux métiers.
Les prêtres de Borso n’ont commencé à noter dans les registres de baptême le nom des sages-femmes qu’en 1814. Le nom de mon aïeule y figure à partir de mai 1816. Elle a alors 67 ans et vient de perdre son époux, décédé en décembre 1815. J’ignore si elle a appris ce métier au moment de son veuvage, pour subvenir aux besoins de sa famille, ou si elle y avait été formée auparavant.
En 1816, la Sérénissime République de Venise est défunte depuis près de vingt ans. Mais si Maria Mogno a été formée aux accouchements avant 1797, elle a été soumise au code imposé aux sages-femmes par la république.
Les autorités de Vénétie ont en effet reconnu officiellement le statut des comadre (comare) dès le XVIIe siècle. Ces dernières étaient rattachées au collège des médecins et, à compter de 1624, devaient passer un test de compétence devant un médecin habilité par les autorités de santé et deux sages-femmes expertes. A partir de 1689 les épreuves de cet “examen” devinrent plus difficiles, les candidates devant assister à des leçons théoriques et pratiques et étudier un livre de référence sur le sujet.
L’un de ces livres a été imprimé à Venise en 1721. Il s’agit de “La comare levatrice istruita nel suo ufizio secondo le regole più certe e gli ammaestramenti più moderni“, écrit par un chirurgien vénitien, Sebastiano Melli. Dans ce livre, l’auteur émet une hypothèse sur l’étymologie du terme levatrice :
La comadre, quasi con-madre; perché con amorosa assistenza leva dalle tenebre alla luce la creatura, viene chiamate comunemente in Italia Levatrice, forse dal verbo allevio, vel allevo, quasi allegiamento ajuto, ò sia sollevo ; perché la Savia Femina, sapendo far come fà le sue parti, e nell’ajutare la partoriente, e nel consolarla, le serve di alleggiamento a’ dolori, e di ajuto in talli affani.
Soit : “l’accoucheuse (comadre, presque con-madre, = “avec la mère”) parce qu’elle porte avec une tendre assistance la créature des ténèbres vers la lumière, est couramment appelée en Italie Levatrice (= celle qui lève), peut-être du verbe élever ou soulever ; car la sage femme, sachant faire les accouchements, aider la parturiente et la consoler, soulage ses douleurs et lui apporte de l’aide dans ces moment de tracas”.
Melli précise dans cet ouvrage les qualités et fonctions de la sage-femme :
“Une sage-femme doit être craintive de Dieu, posséder une âme virile et être honorable, vertueuse, honnête, sobre et modérée dans toutes ses actions.”
Elle a trois rôles :
“Le premier consiste à faire des expertises de virginité et de discerner avant le mariage, quelles femmes seront fécondes et quels hommes seront en mesure de procréer avec elles. Le second est de savoir reconnaître quand une femme est enceinte. Le troisième d’aider les femmes gravides durant leur grossesse, pour leur accouchement et après.”
Elle doit en particulier “signer et asperger le nouveau-né avec l’eau bénite en prononçant le nom de la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, et invoquer les glorieux et bienheureux noms de Jésus et Marie.”
Les indications de Melli concernent également le contrôle de l’état de santé du nouveau-né et les soins à apporter à l’enfant et à sa mère juste après la naissance.
Source : Atti e Memorie della Academia di Storia dell’Arte Sanitaria. Nuova Serie (IV), n.2, luglio-dicembre 2012
Si je ne sais quand Maria Mogno a commencé son activité, je sais par contre qu’elle l’a poursuivie jusqu’à un âge avancé. En effet, si elle décède en décembre 1831, à l’âge de 82 ans, les registres de baptême de Borso montrent que le 30 septembre 1829, alors qu’elle a 80 ans, elle assiste Antonia Zago lors de son accouchement et met ainsi au monde son arrière petit-fils, Michele Arcangelo Vedovotto.
Ajout du 11/03/2014 :
Un judicieux commentaire de Cedeca (voir ci-dessous) m’a amenée à regarder à nouveau de plus près les baptêmes de mes ancêtres directs et j’y ai lu ce qui ne m’avait pas sauté aux yeux jusque là, car j’avais surtout cherché à savoir jusqu’à quel âge mon aïeule avait exercé son activité de sage-femme : Michele Arcangelo, cité ci-dessus avait un frère plus âgé, Giovanni Sebastiano né en 1823, qui se trouve être mon arrière-arrière grand-père. Et lui aussi a été mis au monde par son arrière grand-mère, Maria Mogno !
Si je résume : mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère a mis au monde mon arrière-arrière grand-père…
Certains généalogistes peuvent se targuer de descendre de Louis VI le Gros ou d’être cousin avec une “star”. Il n’y a dans mon arbre aucun exploit (?) de ce genre, mais la découverte de ce lien supplémentaire entre mes ancêtres a largement autant de valeur à mes yeux.
12 commentaires
Elodie
Tu me devances car j’avais prévu d’en parler lors du challenge A a Z. Les sages-femmes que j’ai pu voir dans les archives commençaient assez tôt leur profession (avant 20 ans) et le restait jusqu’à leur mort.
venarbol
La mention n’ayant été précisée qu’à partir de 1814 dans les registres de baptême de Borso, je ne sais pas si Maria avait commencé avant. Ce qui m’intrigue c’est que son nom n’apparaît qu’en 1816. Je pense moi aussi qu’elle avait dû apprendre ce métier bien avant ses 65 ans. Peut-être exerçait-elle plutôt dans une commune alentours jusqu’au décès de son époux. Il faudrait que j’aie accès aux registres de baptême de Semonzo ou de Sant’Eulalia (paroisses limitrophes) pour voir si l’identité des “levatrice” y était précisée avant 1816.
Lulu Sorcière
Merci pour cet article ! Autres lieux autres habitudes ! Je vois qu’on accouche à genoux, comme dans le Poitou ;-). Ici point de distinction entre matrones et sages-femmes ? Mais sont-elles toutes formées ?
J’ai eu l’occasion de lire le programme des cours à Poitiers au XVIIIème siècle c’est très succinct, mais nombreuses étaient à la campagne celles qui ne savaient pas lire. Le dernier article que j’ai publié sur le sujet montre l’immense différence entre la formation des unes et des autres selon les régions.
Celles que j’ai rencontré exercent en effet très longtemps.
Amitiés.
venarbol
A priori, dans la Sérénissime elles devaient toutes être formées et passer leur “validation”. J’en conclus, peut-être à tort, que mon aïeule devait savoir lire.
Pour ce qui est de la position, la seule vue de cette femme dessinée dans l’ouvrage m’a fait mal aux genoux. Ça tenait presque du yoga !
Jean-Michel Girardot
Très bel article. J’ai pour ma part vu des actes de baptême du XVIIIème siècle où la “levatrice” est nommément désignée pour avoir baptisé un nouveau-né sur le point de mourir. Ce sont des actes en italien de la paroisse Sainte-Hélène de Nice.
venarbol
Merci. Il était assez fréquent en effet que la “levatrice” pratique un baptême sommaire, pour éviter à un enfant dont la survie lui paraissait hypothétique une errance infinie dans les limbes. Les sages-femmes étaient habilitées par l’église pour pratiquer ces baptêmes ou ondoiements. J’en avais parlé ici : http://www.venarbol.net/archives/4735
Cedeca des branches
“Le premier consiste à faire des expertises de virginité et de discerner avant le mariage, quelles femmes seront fécondes et quels hommes seront en mesure de procréer avec elles” Comment s’apprenait-il ce rôle là ? Il y a souvent un halo de magie autour des sages femmes non ?
Emouvant de lire qu’elle a accouché son arrière petit fils. Y a t’il plusieurs de ses descendants dont vous savez qu’elle a fait venir au monde, de vos ascendants peut-être ?
Ces petits moments hors du temps sont une des raisons pour lesquelles j’aime la généalogie
venarbol
Je n’ai trouvé que des extraits de l’ouvrage de Melli. Peut-être y indiquait-il la manière de reconnaître la virginité et la potentielle fécondité… Il est certain que ça tient un peu de l’art divinatoire.
J’ai moi aussi été touchée en découvrant qu’à 80 ans elle avait fait naître son arrière petit-fils. J’irais même jusqu’à penser qu’elle aussi a dû ressentir quelque chose de spécial.
Je n’ai pas trouvé d’autre signalement de descendants qu’elle aurait fait venir au monde, mais la mention n’apparaît malheureusement que tardivement sur les registres de baptême.En réalité, je viens de regarder à nouveau, et bien si ! Je complète donc l’article…Evelyne
La généalogie permet de découvrir moult facettes des us et coutumes de nos ancêtres.
Merci pour cet article très intéressant !
Cedeca des Branches
“Certains généalogistes peuvent se targuer de descendre de Louis VI le Gros ou d’être cousin avec une “star”. Il n’y a dans mon arbre aucun exploit (?) de ce genre, mais la découverte de ce lien supplémentaire entre mes ancêtres a largement autant de valeur à mes yeux”.
Et même plus ! C’est une part de leur histoire intime… Nous descendons tous d’un roi sans y être pour rien. La vraie richesse de la généalogie est de savoir que chacun a sa part d’ombre et de lumière. A nous de prendre leçon de l’ombre pour avancer dans nos propres vies, humblement, et de gaiement profiter de l’éclat si doux à nos yeux de la petite lumière si particulière et unique qu’ont partagé Giovanni Sebastiano et Maria Mogno !
Je suis de bonne humeur d’un coup… 🙂
Anne Dardaud
Excellent article ! Merci du partage!
Monique F.
Je cherche un équivalent à “bravo” car je ne cesse de le répéter à ton égard et ça devient lassant mais c’est si vrai ! Les commentaires qu’on t’a faits sont aussi excellents. C’est bien agréable de lire des choses instructives, nouvelles, en bon français. Merci de nous les faire partager.