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Les soldats italiens en France durant la Grande Guerre

J’ai récemment acheté le livre Les troupes italiennes en France pendant la première guerre mondiale, de Julien Sapori (éditions Anovi). Très intéressant, ce livre replace le contexte historique de l’Italie dans le paysage européen du début du XXe siècle et détaille les différentes phases de l’engagement italien sur le sol français durant la grande guerre. Mon article tire largement son contenu de cet ouvrage.

En 1914 le royaume d’Italie est liée à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie au sein de la Triple Alliance, et ce depuis 1882. Mais cette alliance est purement défensive et Rome refuse de s’en servir de prétexte pour attaquer des pays qui ne menacent pas ses frontières. Le 3 août 1914, l’état italien se met donc en retrait du conflit en déclarant sa neutralité.
A cette époque, les trois guerres d’indépendance que le peuple italien a menées dans la seconde moitié du XIXe siècle contre l’Autriche-Hongrie (1848, 1859 et 1866) sont encore très présentes dans les esprits, portées par le souvenir des “chemises rouges” de Garibaldi. A la veille de la guerre, cet “allié” autrichien détient en outre encore les terre irredente de Venezia-Giulia (Trieste et Gorizia) et du Trentino (Trento), qui n’ont pas pu être incluses dans l’état italien à l’issue de la 3e guerre d’indépendance. Ni le gouvernement ni le peuple italien n’ont donc jamais vraiment envisagé de combattre aux côtés de l’ennemi d’hier.

Julien Sapori interprète la neutralité de l’Italie comme une tactique lui permettant de temporiser et de préparer les troupes avant de s’engager aux côtés de l’Entente (France, Royaume-Uni, Russie).
L’engagement des Italiens en France se déroulera en trois temps.

De novembre 1914 à mars 1915 : la légion garibaldienne

Dès septembre 1914, les interventionnistes italiens militent pour une entrée en guerre contre l’Autriche-Hongrie. Il s’agit au départ d’une poignée d’intellectuels, parmi lesquels figurent Gabriele d’Annunzio ou Benito Mussolini. Les dirigeants italiens restent officiellement sourds à leur appel, même si des pourparlers sont entamés avec la France et le Royaume-Uni dès l’issue de la première bataille de la Marne, en septembre 1914.
Malgré tout, les Italiens qui souhaitent en découdre avec les Autrichiens ou qui sont attachés à une France devenue leur pays d’adoption n’ont encore d’autre choix que de s’engager comme volontaires dans l’armée française, soit à titre individuel soit en intégrant la “légion garibaldienne”.

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« Costante et Bruno Garibaldi, Square Garibaldi, Paris 15 » par Wikimedia Commons / MuTravail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

Ricciotti Garibaldi, 4e fils du héros du Risorgimento Giuseppe Garibaldi, a lui-même participé à la 3e guerre d’indépendance italienne, avant de combattre contre la Prusse dans les Vosges en 1870. Dès le 6 août 1914 il offre ses services au gouvernement français, se proposant d’organiser des corps francs intégrant des étrangers pour aller combattre dans l’est de la France. Sa suggestion se concrétise fin 1914, avec la création du 4e régiment de marche du 1er régiment de la légion étrangère, formé de 2.206 hommes. Parmi les 56 officiers 36 sont italiens, et la quasi totalité des engagés sont des italiens qui vivaient en France avant le conflit.
Resté dans les mémoires sous le nom de “Légion garibaldienne”, ce régiment est commandé par Giuseppe (Peppino) Garibaldi, petit-fils de Giuseppe, et compte dans ses rangs quatre autres petits-fils de Garibaldi. C’est dans la légion garibaldienne qu’a combattu Lazare (Lazzaro) Ponticelli, le dernier des poilus français, avant de rejoindre les rangs de l’armée italienne.

La légion garibaldienne est envoyée sur le front d’Argonne en décembre 1914. Elle participe aux combats du four de Paris, du bois de Bolante, de Courtes-Chausses, du ravin des Meurissons et de la Haute Chevauchée. En trois semaines de conflit, le régiment compte 300 morts et disparus, 400 blessés et 500 malades. Elle est retirée du front en janvier 1915 et envoyée au repos. En mars 1915, face à l’imminence de l’entrée en guerre de l’Italie, cette unité est dissoute. La plupart de ses engagés vont alors intégrer l’armée italienne ou d’autres régiments de la légion étrangère, au sein de l’armée française.

Parmi les victimes figurent deux des petits-fils de Garibaldi, Bruno et Costante. Les morts de la légion garibaldienne sont d’abord inhumés à Lachalade dans la Meuse. Après la guerre, leurs dépouilles sont transférées dans la nécropole italienne de Bligny, dans la Marne. A Lachalade est alors érigé un monument à la mémoire de Bruno, Costante et des 500 “garibaldiens” morts en Argonne. Les journaux de marches et opérations du 4e régiment de marche du 1er régiment de la légion étrangère détaillent les noms des morts, disparus et blessés.

Le 27 mai 1934, un monument aux Garibaldiens est également inauguré au cimetière parisien du Père Lachaise.

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« Lachalade, Monument aux Garibaldiens » par Aimelaime~commonswikiTravail personnel. Sous licence CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons.

Les T.A.I.F.

Dès le 23 juin 1915, les troupes italiennes sont totalement engagées sur le front de l’Isonzo. Mais après la débâcle de Caporetto, du 24 octobre au 9 novembre 1917, plus de 300.000 soldats, soit près d’un tiers de l’armée italienne, se trouvent dispersés. L’Italie reçoit des aides de la part de ses alliés et ne peut refuser en retour de les assister. Elle envoie en France des troupes destinées à remplacer la main-d’œuvre française mobilisée sur le front. Les T.A.I.F., ou Troupes Auxiliaires Italiennes en France, sont chargées d’assurer des travaux de logistique à proximité du front. Ils aménagent les tranchées, posent les barbelés, construisent des fortifications, des terrains d’aviation ou installent des voies de chemin de fer. Ces hommes en uniforme sont commandés par des officiers italiens. La France est chargée de leur logement, leur entretien et leur solde.
Considérant que les troupes vaincues à Caporetto ne sont pas fiables, l’état major italien envoie au départ en France des jeunes gens tout à fait aptes au combat, pour les écarter de ses propres rangs. Mais c’est mal vécu par l’opinion publique française, qui considère que ces soldats se “planquent” en France pendant que les Français sont au front, et cela prive l’armée italienne de forces vives. Par la suite, la sélection est plus rigoureuse et les soldats aptes au combat réintègrent les troupes italiennes qui combattent en Italie ou en France.
Au printemps 1918, les T.A.I.F. comptent environ 50.000 hommes. En outre, 10.000 à 20.000 soldats italiens sont présents sur le sol français, par exemple au sein d’unités militaires du génie ou de l’aviation.

Le 2e corps d’armée

A la fin de l’année 1917, l’Italie engage une bataille décisive sur le front du Piave. Les troupes italiennes bénéficient alors de l’aide de six divisions françaises et de cinq division britanniques (lire Les Français sur le front du Piave). En contrepartie, l’envoi de troupe italiennes en France est acté courant avril 1918. Le 2e corps d’armée italien, commandé par le général Alberico Albricci, est choisi pour rejoindre le front français. Il est constitué de deux division d’infanterie comportant chacune un régiment d’artillerie, et des troupes de corps d’armée. Parmi les régiments engagés figure la brigade Alpi, commandée par Peppino Garibaldi, celui-là même qui dirigeait la légion garibaldienne en 1914.
Le 2e corps d’armée est d’abord stationné en Argonne, là où la légion garibaldienne s’est battue en 1914. Il est ensuite envoyé dans la Marne. A partir du 14 juillet 1918, il se trouve engagé dans d’âpres combats à Bligny. En douze jours, il perd près de 10.000 hommes, morts, blessés ou faits prisonniers, mais il empêche l’ennemi de s’emparer d’Épernay et de contourner Reims. Des renforts venus d’Italie ou issus des T.A.I.F. lui permettent de reconstituer ses effectifs. Il participe alors à la dernière offensive alliée, dans le secteur du Chemin des Dames.

Les sépultures italiennes en France

Selon le consulat italien de Metz, 5.450 soldats italiens tombés au cours de la première guerre mondiale sont inhumés sur le sol français. Ils se trouvent principalement dans les cimetières et nécropoles suivants :

Chambrecy (Marne) – Cimetière militaire italien (dit “de Bligny”) : 4.421 soldats
Liste des soldats italiens inhumés à Chambrecy (MemorialGenWeb)
Soupir (Aisne) – Cimetière militaire italien : 588 soldats
Listes des soldats italiens inhumés à Soupir (MemorialGenWeb)
Labry (Meurthe-et-Moselle) – Secteur militaire international du cimetière communal : 123 soldats
Lyon (Rhône) – Carré dans le cimetière communal “La Guillotière” : 71 soldats
Liste des soldats italiens inhumés à Lyon (MemorialGenWeb)
Villeurbanne (Rhône) – Carré dans le cimetière de “La Doua” : 66 soldats
Liste des soldats italiens inhumés à La Doua (MemorialGenWeb)
Metz (Chambière) (Moselle) – Carré dans le cimetière de militaire de Chambière : 91 soldats
Liste des soldats italiens inhumés dans le cimetière de Chambière (MemorialGenWeb)
Ivry (Val de Marne) – Secteur militaire du cimetière communal d’Ivry : 37 soldats
Liste des soldats italiens inhumés dans le carré militaire d’Ivry (MemorialGenWeb)
Dijon (Côte d’Or) – Carré dans le cimetière communal “Des Pesoces” : 14 soldats
Liste des soldats italiens inhumés dans le carré militaire de Dijon (MemorialGenWeb)
Chambéry (Savoie) – Charrière neuve : 23 soldats
Liste des soldats de toute nationalité inhumés dans le carré militaire de Chambéry (MemorialGenWeb)
– Quelques-uns ont été également répertoriés dans les cimetières communaux de Cannes, Rouen et Antibes.

« Cimetière italien de Bligny » par GaritanTravail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

En savoir plus :

Les troupes italiennes en France pendant la première guerre mondiale
Journal de marches et opérations du 4e régiment de marche du 1er étranger (depuis le site Mémoire des Hommes)
Journal de marches et opérations du 2e bataillon du 4e régiment de marche du 1er étranger (depuis le site Mémoire des Hommes)
Journal de marches et opérations du 3e bataillon du 4e régiment de marche du 1er étranger (depuis le site Mémoire des Hommes)
Inauguration du monument des garibaldiens au père Lachaise (depuis le site Argonne 14-18)
Les Italiens à Craonne
Les nécropoles militaires italiennes de la circonscription de Metz (en Italien, site du consulat italien de Metz)
Albo d’Oro dei Caduti della Grande Guerra (livre d’or des soldats italiens morts durant la première guerre mondiale)

44 commentaires

    • venarbol

      Ces soldats italiens avaient sans doute été inhumés au départ au plus près des zones de combat, ou des hôpitaux pour ceux qui y sont décédés. Ils ont été exhumés puis inhumés en 1918 dans le cimetière de La Doua, qui est une nécropole nationale militaire, sans doute pour rendre un plus grand hommage à leur sacrifice.

  • lucnemethluc nemeth

    en ce qui concerne le directeur de l’Avanti, Benito Mussolini, il n’était aucunement interventionniste à la date de septembre 1914 et restait plus que jamais aligné sur la position qu’il avait rappelée fin juillet : “pas un sou, pas un homme pour la guerre”. Sa miraculeuse conversion du mois suivant, contrairement à ce qu’ont raconté ses biographes révisionnistes, releva bien de la corruption. J’ai fait le point en 1998 dans ‘Italia contemporanea’ par un article dont la traduction française est maintenant online (www.academia.edu/10635776/Une_histoire_de_billets_doux_la_France_et_le_Popolo_ditalia_1914-1917).
    Bien cordialement

  • PETIT Olivier

    Bonjour, auriez-vous des informations concernant la venue d’Italiens dans la région de Nancy (Lorraine) ? Faisant des recherches sur le village de Ludres, à qq km de Nancy, j’ai trouvé ça : Le 23 août 1917 : 4 compagnies de sapeurs italiens destinés à la ligne Bayon-Pont-Saint-Vincent arrivent à Bayon et Ludres. Du 26 décembre 1917 au 2 janvier 1918 : 600 travailleurs italiens arrivent dans la région en plus des 600 déjà présents ; ils cantonnent à Ludres. Le 15 février 1918, le conseil municipal de Ludres accepte le don de 500 francs fait au bureau de bienfaisance (en faveur des pauvres et des Ludréens logeant des Italiens) par le capitaine ALBINI, commandant le bataillon de travailleurs italiens et par les officiers transalpins. Merci !

    • blogtest1983

      Il y a eu beaucoup de soldats italiens sur le front du Nord-est bien sûr… Hélas, même le Musée de l’immigration, qui diffusait en octobre une annonce de manifestations pour un “Hommage aux soldats et travailleurs étrangers et coloniaux”, les oubliait (je recopie : Ils sont accueillis en héros dans les ports où ils débarquent en 1916 et 1917. Ils sont africains, américains, anglais, antillais, australiens, belges, canadiens, chinois, guyanais, grecs, indiens, indochinois, malgaches, polonais, portugais, russes, serbes…). C’est un peu dommage…
      Vous pouvez chercher dans la Bibliographie de Pierre MILZA (on trouve facilement sur le Net).
      Cordialement

  • SPOTTI

    Bonsoir,
    J’ai lu ce livre. Je l’ai trouvé très interressant et plutôt bien documenté.
    Je l’ai acheté car mon grand-père, originaire de Lombardi (Province de Crémone) est venu se battre en France dans le 2ème Corps d’Armée.
    Malheureusement, il m’a été impossible de trouver dans quel régiment il était.
    Si quelqu’un a des listes des soldats de ce corps d’armée, je suis très interressé pour les consulter.
    Cordialement

  • Arnaud GABET

    Bonjour,

    Je recherche des informations concernand Bernardo CACCIA, tué entre Noyelles-sur-Escaut et CRevecoeur dans le Nord en septembre-octobre 1918 et inhumé provisiirement dans le cimetière “Churcyard” de Crevecoeur-sur-l’EScaut
    bien cordialement.

    Arnaud GABET

    • venarbol

      S’il était engagé dans l’armée française, vous trouverez sa fiche sur “Mémoire des Hommes”. S’il était engagé dans l’armée italienne, il faut demander son “foglio matricolare” à l’Archivio di Stato de sa province de résidence en Italie.

  • GABET

    Cette histoire de Bernardo CACCIA est très curieuse car c’est dans la transcription de l’acte de décès de Bernardo CACCIA trouvé dans le registre de Sant’Oreste de 1928 que la cause du décès est indiquée comme telle : « tué par bombe sur la route de Crèvecœur à Noyelles » (France).
    Or, il n’y a pas eu de combats entre Noyelles-sur l’Escaut et Crèvecœur-sur-l’Escaut le 3 septembre 1918, ce serait plutôt le 3 octobre, époque de la campagne des Cent Jours.
    Ce qui est également très curieux c’est qu’on a un soldat italien appelé Bernardo CACCIA est mort le 3 septembre 1918 ainsi que l’atteste cette notice nécrologique provenant de la liste des soldats italiens décédés pendant la Première Guerre :
    « Bernardo CACCIA de SALVATORE, soldat au 2e régiment des Bersagliers, né le 4 juillet 1888 à Santoreste, district militaire de Rome, décédé le 3 septembre 1918 à Breve coms, Miselles ( ???) suite aux blessures subies au combat ” »Breve Coms NIsels » voudrait-il dire Crèvecoeur / Noyelles ?
    Dans le volume II des « Fiemme cremisi » (flammes cramoisies ?), Bernardo CACCIA est répertorié décédé le 3 septembre 1917 parmi les morts en captivité à Minden (Allemagne) La feuille matriculaire donne le numéro 42129. L’énigme de son lieu de sépulture reste donc entière.

  • YON Jean Marc

    Je recherche le soldat Italien , né à Piedicavallo nommé ION T Clemente disparu en aout 1819, il figure sur une plaque à Rosazza proche de Piedicavallo , c’et un membre de ma famille. Merci

  • Reinat Matalòt

    Heureusement que des écrivains et historiens ont quelque peu rafraîchi la mémoire collective sur la participation de soldats italiens pendant la “grande boucherie” de 14-18. Le prétexte avancé sur les causes de cet “oubli”, à savoir la prise du pouvoir italien par Mussolini en 1922, que l’on peut contester, ne tient pas la route. Il n’efface en rien le sacrifice des soldats transalpins.
    Forza Italia !
    Reinat Matalòt.

  • MACQUART Colette

    Vous commettez une erreur importante sur le nom du cimetière que vous nommez “de Bligny”. Il est situé à Chambrecy au lieu dit “le mont de Bligny” . Le village de Bligny est éloigné de ce lieu dont il est séparé par levillage de Chaumuzy. Cette confusion est souvent à l’origine d’erreurs notamment lors de cérémonies , d’autant plus qu’à Bligny il y a deux cimetières ,mais un Français et un Allemand.

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