L’émigration
«Qu’entendez-vous par Nation, Monsieur le ministre ? Est-ce la masse des mécontents ? Nous plantons et coupons le blé, mais nous ne goûtons jamais au pain blanc. Nous cultivons la vigne, mais nous n’en buvons pas le vin. Nous élevons les animaux, mais nous n’en mangeons pas la viande. Malgré ça, vous nous conseillez de ne pas abandonner notre Patrie. Mais est-ce une Patrie que la terre où on ne peut vivre de son propre travail ?»*
* Déclaration d’un immigrant italien, à la fin du XIXe siècle, au ministre d’État italien qui lui demandait de ne pas quitter l’Italie.
Le phénomène de l’émigration est étroitement lié à l’histoire récente de l’Italie, à compter de la création de l’État Italien en 1861.
A cette époque, la population est essentiellement rurale mais les terres agricoles sont mal distribuées. Beaucoup de familles ne disposent que de petites parcelles, que les successions ne font que diviser encore. Les terres ne sont plus assez étendues pour subvenir aux besoins des familles. Les paysans qui complétaient leur revenu par une production artisanale voient l’essor de l’industrialisation rogner leurs revenus, tout particulièrement dans le Nord qui se modernise plus rapidement.
La crise socio-économique que connaît l’Italie à partir de 1880 a des conséquences jusque sur la santé des populations : du fait du manque de plans d’aménagements des zones marécageuses, le nombre de cas de malaria explose. Dans le nord c’est la pellagre, maladie causée par un régime alimentaire composé quasi exclusivement de maïs, qui fait des ravages.
Dans le même temps, les proches voisins européens comme la France, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg se sont développés plus tôt et sont demandeurs de main-d’œuvre pour l’industrie ou les mines. De l’autre côté de l’Atlantique, le Brésil, l’Argentine et les États Unis d’Amérique tentent eux aussi d’attirer des colons, pour exploiter de nouvelles terres ou faire face à la fin de l’esclavage.
Au moment de l’unification du pays, l’Italie était peuplée par 25 millions d’habitants. En extrapolant sur les bases de la fécondité et de la mortalité, le pays aurait dû compter environ 65 millions d’habitants en 1970, alors que les Italiens n’étaient alors que 54 millions. La différence est imputable à l’émigration.
Ils seront en effet 220.000 à quitter chaque année l’Italie entre 1876 et 1900. Par la suite le mouvement s’amplifiera encore. Le taux migratoire moyen, qui n’est que de 8 ‰ en 1894, va s’élever à 10 ‰ en 1900, avant de culminer à 25 ‰ en 1913, avec près de 875.000 départs. De 1900 à 1915, plus de 8 millions d’Italiens quitteront ainsi leur terre natale. Si l’on inclut la période précédente, ils seront plus de 12 millions.
Jusqu’en 1900, ce phénomène est beaucoup plus marqué au nord, qui concentre les trois-quarts des départs. La Vénétie est la première région pourvoyeuse de main-d’œuvre à l’étranger. A partir de 1901, l’émigration concerne également le sud, sans pour autant faiblir au nord.
Ma famille n’a fait pas exception à la règle et certains de ses membres se sont éparpillés aux quatre coins du monde, ou presque.